Les récents décrets du 22 Mars et du 5 Septembre 2010

Les récents décrets du 22 Mars et du 5 Septembre 2010 sur l’Expropriation : Deux autres dérives constitutionnelles du gouvernement Préval/Bellerive.

L’Expropriation est une prérogative de l’Etat Haïtien et nous ne saurions avancer que les deux décrets récemment pris par le Gouvernement Préval/Bellerive sont des mesures administratives non prévues par la loi. Cependant le pouvoir politique a l’obligation de respecter dans le fonds et la forme la constitution et les lois de la République. Nous critiquons sévèrement les conseillers juridiques des cabinets/conseils du Gouvernement Préval/ Bellerive. Ces derniers ne se sont pas montrés à la hauteur de leur tache et ont fait sombrer dans la dérive constitutionnelle et dans l’illégalité nos dirigeants politiques actuels. Ils ont émis deux décrets-lois écrits en dehors du cadre légal, en dehors des règles fixées par les pères conscrits de la nation et par les législateurs haïtiens.

Naturellement le gouvernement est de mauvaise foi parce que le pouvoir politique savait que ces mesures allaient être prises ; il fit voter antérieurement une loi d’urgence lui permettant d’utiliser la procédure célère en matière administrative dans certains domaines.

Mais que le président Préval sache que le bénéfice de l’urgence voté en sa faveur ne détruit pas totalement le cadre légal, ne met pas en veilleuse la constitution et toutes les lois de la République. Seules les règles relatives à la passation de marché sont rendues caduques. La législation qui se réfère au droit de propriété et à son corollaire le droit d’expropriation n’est pas touchée, n’est pas rendue caduque.

Les sources du droit de propriété et de son corollaire le droit d’expropriation se retrouvent dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme votée en Août 1789 à l’article 17 :

« La propriété, étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique l’exige évidement sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Dans la législation haïtienne ces droits ont leurs sources dans la constitution de 1987 à la section H du chapitre II qui traite des droits et devoirs du citoyen haïtien aux articles 36 et 36.1

Article 36 : « La propriété privée est reconnue et garantie. La loi en déterminera les modalités d’acquisition, de jouissance ainsi que les limites. »

Article 36.1 « L’expropriation pour cause d’utilité publique peut avoir lieu moyennant le paiement et la consignation par la justice aux ordres de qui de droit d’une juste et préalable indemnité fixée à dire d’expert. Si le projet initial est abandonné, l’expropriation est annulée et l’immeuble ne pouvant être l’objet d’aucune autre spéculation doit être restitué à son propriétaire originaire sans aucun remboursement pour le petit propriétaire. La mesure d’expropriation est effective à partir de la mise en œuvre du projet. »

D’où l’Etat peut exproprier

a) pour cause d’utilité publique

b) dans le cadre d’une cessation faite à une personnalité publique ou privée

c) d’une propriété en tout ou en partie

d) de droits immobiliers et réels

e) moyennant une juste indemnité en fonction des exigences de l’utilité publique

Ces exigences constitutionnelles sont clarifiées d’abord dans le Code Civil Haïtien.

« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique moyennant une juste et préalable indemnité »

Les droits de propriété sont reconnus dans le droit caraibéen, le droit africain, le droit européen, le droit américain, le droit latino-américain et le droit asiatique. Ce sont des droits universels et seuls dans les pays où la propriété privée n’est pas reconnue comme dans les pays communistes ces droits ne sont pas respectés.

Ces exigences sont clarifiées aussi par le décret du 5 Septembre 1979 qui fixe les modalités de l’application du droit de l’expropriation. En effet ce décret reconnait une phase administrative et une phase judiciaire dans la procédure de l’expropriation.

La phase administrative comporte plusieurs étapes :

a) La première est la déclaration d’utilité publique. Elle est faite par une commission d’enquête avec des enquêteurs ne faisant pas partie et n’appartenant pas à l’autorité expropriante qui a un délai de 15 jours pour remettre ses travaux.

b) Il faut ensuite la publication de l’acte d’ouverture de l’enquête et de l’énonce des conclusions sur le caractère d’utilité publique de l’opération projetée.

Dans les deux décrets du 22 Mars et du 5 Septembre 2010 la phase administrative est simplifiée et la phase judiciaire escamotée. Ces décrets n’ont accordé aux propriétaires que 15 jours pour produire leurs titres de propriété alors que la loi prévoit 15 jours pour le prononcé de la déclaration d’utilité publique. La délivrance des titres de propriété n’arrive qu’après l’enquête parcellaire et la détermination complète des biens et des droits réels, ensuite l’identification des propriétaires et des titulaires de droits. L’enquête parcellaire peut être individuelle ou collective.

Cette enquête parcellaire sera suivie d’une évaluation des biens et des droits réels. C’est alors et alors seulement que les actes administratifs de cessibilité sont dressés par l’Administration Publique mais au préalable il faut la disponibilité des crédits nécessaires à l’indemnisation des biens et des droits à exproprier.

Dans les théories des opérations complexes de l’expropriation qui vise la protection des droits des propriétaires à la phase administrative les propriétaires n’ont pas le droit d’objection. C’est pourquoi le législateur a prévu une phase judiciaire semblable au jugement de l’adjudication des biens dans le cadre du partage après le divorce ou en matière successorale.

Cette phase judiciaire est conduite par le JE, le juge de l’expropriation, qui remplit à peu près le même rôle que le juge de l’adjudication et de l’appropriation. La phase judiciaire est conduite au tribunal civil, à la juridiction de l’expropriation. Le législateur a prévu cette phase dans le souci de garantir les droits des propriétaires à exproprier d’autant plus que dans la phase administrative les propriétaires n’ont pas l’occasion de faire valoir leurs intérêts lésés et leurs objections. C’est une phase de conciliation car le juge de l’expropriation est moins dépendant que l’Administrateur Public. Le rôle du JE est le transfert de la propriété et la fixation de l’indemnité. Naturellement les décisions du JE sont susceptibles d’appel et passibles de pourvoi en cassation.

Voilà la procédure légale de l’expropriation parce que l’expropriation est un mode exceptionnel d’acquisition de biens et de droits immobiliers, les modes normaux étant l’échange, l’achat, la succession et les donations gratuites ou à titre onéreux.

L’expropriation intervient lorsque le recours à tous les autres moyens a abouti à un résultat négatif. L’expropriation intervient seulement lorsque les instruments d’urbanisme, d’aménagement du territoire, de planification ou d’ouvrages d’intérêt public général exigent des déplacements de propriétaires et de locataires de biens et d’immeubles.

Au moment ou le gouvernement Préval/Bellerive prône qu’il veut refonder l’Etat Haïtien, nous rappelons à ces dirigeants que tout état solidement fondé possède un cadre légal et d’abord cherche à le respecter. D’où notre mission première dans la refondation de l’Etat Nation après le cataclysme du 12 Janvier 2010 c’est l’organisation et la matérialisation d’un cadre légal parfait en Haïti parallèlement à l’édification des monuments de pierres.

Le gouvernement Préval/Bellerive a mal démarré le projet de reconstruction de Port au Prince et remet aux gouvernements futurs des bougies allumées aux deux bouts. Les deux décrets d’expropriation pris récemment soulèveront à court, moyen ou à long terme dans les tribunaux haïtiens des poursuites judiciaires indéfinies tout le long du 21e siècle. Préval et Bellerive ont semé de la poudre dans le tissu cadastral haïtien déjà mal organisé. Des flammes encore plus violentes que celles connues dans la Vallée de l’Artibonite, dans la Plaine du Cul de Sac et à travers le reste du pays embraseront dans le futur les familles haïtiennes actuelles et leurs successions aux prises avec l’Etat Haïtien pour faire respecter leurs droits.

En effet le premier décret loi d’expropriation est paru dans le Moniteur du 22 Mars 2010 et vise le polygone suivant dans la banlieue Nord de Port au Prince :

A__________________Rivière Bretelle

B__________________Chatigny

C__________________Corail Cesselesse

D_________________ Montel

E__________________Lerebourg

F__________________Morne St Christophe

G_________________ Latanier

H________________ Morne Cocombre

Ces terrains doivent servir à la relocalisation des victimes du séisme du 12 Janvier 2010. Le gouvernement interdit par ce décret tous travaux de reconstruction, de percement de routes, lotissement ou autre exploitation du sous sol ainsi que toute transaction ou aliénation immobilière conformément aux dispositions de la loi du 5 Septembre 1979 et de la loi du 28 Juillet 1928 des biens donnés à bail ou indument occupés.

Le deuxième décret, celui publié dans le Moniteur du 2 Septembre 2010 concerne le quadrilatère suivant dans la capitale haïtienne :

Au Nord la rue des Césars

Au Sud la rue St Honoré

A l’Est la rue Capois

A l’Ouest la mer et la baie.

L’objectif de cette expropriation est l’aménagement du Centre Ville de Port au Port au Prince et la relocalisation des institutions publiques.

Ce décret est encore motivé par la Constitution, par la loi du 5 Septembre 1979 et celle du 28 Juillet 1928.

Faisons des considérations générales et spécifiques à propos de ces décrets du 22 Mars et du 5 Septembre 2010. Nul de ces deux décrets n’a fait mention de la phase administrative et de la phase judiciaire de la procédure d’expropriation telles qu’indiquées dans la loi du 5 Septembre 1979. Les différentes étapes de ces phases n’ont pas été matérialisées avant la mise à exécution des ouvrages d’intérêt public. Les propriétaires sont évacués, les terrains déblayés par l’Etat Haïtien qui pratiquement est entré en possession. La formation de la commission d’enquête devant statuer sur l’utilité publique n’a pas eu lieu, ni la publicité d’usage. Il n’y a pas eu d’enquête parcellaire ni d’évaluation des terrains et de formation d’une liste complète des immeubles à exproprier. Enfin les crédits et valeurs compensatoires dans les banques pour indemniser les propriétaires des biens et des droits réels à exproprier ne sont pas disponibles.

La phase judiciaire étant escamotée il n’a pas été permis aux expropriés de faire des injonctions, d’établir leurs griefs comme l’exige la loi dans un cahier de charges par devant un juge de l’expropriation qui aurait garanti par un jugement la légalité de l’expropriation et couper court à toute contestation dans le futur.

Dans une perspective générale nous fixant sur le plan du temps, de l’espace et de l’objet en question nous étudierons les conséquences de ces décrets sur l’avenir de la communauté haïtienne.

Le gouvernement vient de semer de la poudre dans les familles haïtiennes prêtes à s’engager dans des procès indéfinis pour la valorisation et le respect de leurs droits immobiliers et réels. Les deux décrets ne concernent pas seulement le moment présent. Ils plongent leurs racines dans le passé et dans le futur dans la mesure où la plupart de ces propriétés ne sont pas documentées, n’ont pas de titres qui sont ou bien inexistants ou bien ont disparu dans des désastres naturels survenus au fil du temps comme lors du cataclysme du 12 Janvier 2010. Certains titres ont disparu dans les flammes, dans des vols. Certaines propriétés sont dans l’indivision parce que les héritiers ne se sont jamais donné la peine de faire des extractions de leurs portions d’héritage du titre original.

Sur le plan de l’espace, comment l’Etat Haïtien va-t-il se prendre pour établir des références en vue d’une juste indemnisation des propriétaires expropriés si l’étendue des terrains n’est pas déterminée, ni l’occupation de l’espace aérien ou du sous-sol indiqué, ni les autres droits réels établis.

Enfin sur le plan de l’argumentation du bien fondé du projet, il peut se révéler dans le futur qu’un autre gouvernement ne tombe pas d’accord avec le plan de Préval, l’abandonne au profit d’un autre plus économique ou plus sur comme par exemple déplacer la capitale haïtienne. Cette question est agitée à la veille des élections qui doivent amener en Haïti une alternance gouvernementale. Il ne reste au gouvernement de René Préval que 5 mois. Un large segment du public aurait préféré le déplacement de la capitale à cause de la faille sismique sur laquelle Port au Prince est bâtie. Qu’en adviendra-t-il alors de ces propriétés expropriées si une documentation complète et sure des expropriations n’est pas établie? Entre les mains de qui elles tomberont ? Autant de questions qui sont agitées dans le public haïtien.

Enfin analysons les problèmes spécifiques insolvables posés par ces expropriations qui méritent d’être abordés avant la mise en œuvre définitive de ces ouvrages d’intérêt public général.

L’expropriation ne porte pas seulement sur des droits immobiliers mais sur d’autres droits réels indéfinis comme par exemple :

a) sur les droits d’usage et d’habitation. Ce serait par exemple le cas de ces longs corridors de la Grand’ Rue qui sont partagés par des centaines d’individus qui ont payé pour l’usage ou les droits des locataires qui ont payé leur ferme annuelle et il leur reste plusieurs mois à courir

b) sur les droits d’emphytéose. C’est un fermage à long terme allant parfois jusqu’à une période de 99 ans. Ce droit confère au preneur la prérogative de prendre des hypothèques sur la propriété. Il doit être compensé pour ces droits.

c) sur les droits de mitoyenneté. Les murs mitoyens souvent sont construits par les deux propriétaires, comment concilier les droits de l’un et de l’autre.

d) sur les droits de concession. Certaines compagnies de ramassage de détritus par exemple ont des droits concessionnaires qu’ils ont achetés à la Mairie de Port au Prince pour le nettoyage de certains quartiers. Comment seront-elles remboursées pour les dépenses d’investissements consenties et les frais payés ?

e) sur les droits de titulaires de permis d’exploitation. Le cas implique les notaires, les arpenteurs qui ont établi une clientèle dans la ville. Comment seront résolus leurs problèmes ?

f) sur les droits de servitude comme par exemple en faveur de l’électricité d’Haïti et des compagnies téléphoniques qui ont payé des droits de servitude à des propriétaires pour traverser leurs terrains. Seront-ils remboursés ?

g) enfin sur les droits meubles comme ceux acquis pour les fonds de commerce, la clientèle, le nom commercial, l’exploitation commerciale et les droits sur les inventions qui ne concernent que la région : les propriétaires de ces droits seront-ils remboursés?

En conclusion nous disons qu’il est plus facile de construire que de corriger. Aussi il n’est pas permis de commettre des erreurs pour éliminer des fautes. C’est pourquoi il est toujours conseillé de suivre les règles en tout, partout et toujours pour éviter de produire des confusions, des maladresses, des méprises, des malentendus et des quiproquos. Il est surtout conseillé de respecter les règles du droit. Lorsqu’elles ne sont pas respectées, elles provoquent dans la suite des récriminations, des révoltes et même des révolutions. A travers l’histoire politique mouvementée d’Haïti les bouleversements sociaux sont arrivés quand les leaders par ignorance, par arrogance, par insouciance ou par méchanceté ne suivent pas les règles du droit.

Certes la reconstruction de Port au Prince nécessite des expropriations en masse en vue de l’organisation du Centre Ville qui doit répondre aux normes de la modernité. On ne doit pas pour autant corriger un mal en commettant des erreurs. Le gouvernement a violé les lois aux fins de réaliser une œuvre grandiose, disent les dirigeants. A regarder de près la loi du 5 Septembre 1979 et les normes constitutionnelles nous pensons que toute la procédure serait complétée en l’espace d’un trimestre et qu’il n’était pas nécessaire de s’écarter complètement du cadre légal pour exproprier les habitants du Centre Ville de la capitale. Les droits des propriétaires ont été lésés et ce sera justice si demain ils se retournent contre l’Etat Haïtien et le gouvernement Préval/Bellerive qui ont violé leurs droits. A bon entendeur salut.

Me. Anthony Alouidor
















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